Le son lugubre du cor, annonçant le départ à 11h37, heure locale, le mardi 18 mars 2025, a marqué le début d'une nouvelle tentative pour 40 coureurs de dompter l'impossible. Le parc d'État de Frozen Head, dans le Tennessee, avec ses ronces, ses pentes assassines et son parcours secret redessiné par le maître de cérémonie Gary "Lazarus Lake" Cantrell, s'annonçait plus impitoyable que jamais.
Après l'édition 2024 historique qui avait vu cinq finishers, dont la première femme (Jasmin Paris), la question n'était pas de savoir si quelqu'un allait terminer, mais combien. La réponse fut brutale : zéro. L'édition 2025 restera dans les annales comme le retour à l'anomalie, la 25e fois en 40 ans que la course n'a pas de vainqueur, réaffirmant son statut d'ultramarathon le plus diabolique du monde. Seul l'Américain John Kelly, triple finisher, a réussi l'exploit amer d'une "Fun Run" (trois boucles), témoignant de la brutalité sans précédent du parcours de cette année.
L'euphorie de 2024 a attiré un plateau particulièrement relevé, marqué par le retour de plusieurs légendes et l'arrivée de nouveaux talents.
John Kelly (USA) : Le favori principal. Triple finisher (2017, 2023, 2024), Kelly représentait la régularité, l'expérience et la maîtrise de la navigation dans la Big Mountain. Son objectif était clair : une quatrième cloche, mais aussi l'analyse des nouvelles sections du parcours.
Aurélien Sanchez (FRA) : Finisher 2023. De retour après un DNF en 2024, le Français misait sur sa force brute et son excellente navigation pour retrouver le cercle des vainqueurs.
Les Nouveaux Visages Français : La France était bien représentée avec Sébastien Raichon (champion du Tor des Glaciers), Maxime Gauduin et l'ultra-endurante Claire Bannwarth (vainqueure de la Spine Race), tous deux novices à la Barkley mais dotés de capacités d'endurance hors norme. Bannwarth était la dernière femme en course, avant d'abandonner au premier tour.
Tomokazu Ihara (JPN) : Le Japonais, à sa sixième tentative, était une figure de persévérance et un excellent technicien de la course en montagne.
L'analyse de cette édition ne peut ignorer deux facteurs cruciaux :
Le Parcours Rendu Plus Difficile : Des rumeurs persistantes, confirmées par les coureurs au retour, indiquaient que Laz avait ajouté une section notoirement plus difficile, augmentant le dénivelé total (près de 18 000 mètres de D+ sur cinq boucles) et la complexité de la navigation. Kelly Halpin, la dernière femme en course, a déclaré que c'était « le parcours le plus difficile de l'histoire ».
L'Attritude (Le Taux d'Abandon) : La première boucle (environ 32 km et 3 600m D+) a été un massacre. Seulement 10 coureurs sur 40 ont réussi à la terminer. Pour la première fois dans l'ère moderne de la Barkley, c'était le plus faible taux de réussite de la première boucle, signalant immédiatement que 2025 serait une année de faible performance.
La première boucle a montré une prudence inhabituelle des coureurs, signe qu'ils respectaient l'avertissement non verbal de Laz.
Tête de Course : Le jeune Français Maxime Gauduin et Sébastien Raichon ont signé les meilleurs temps, arrivant au camp en tête en moins de 9h45.
L'Analyse du Temps : Le temps le plus rapide (9h44) était le deuxième temps le plus lent jamais enregistré pour un leader de la première boucle, confirmant que le parcours était objectivement plus difficile.
Les Difficultés : Des athlètes expérimentés comme Kelly Halpin ont manqué le cut-off de la première boucle. L'échec des novices (les Virgins) à passer ce premier test a été quasi total.
La deuxième boucle, souvent la première étape vers l'épuisement, a réduit le champ de bataille à seulement quatre coureurs.
La Tête de Course : Tomokazu Ihara (JPN), connu pour sa gestion de la course de nuit, a pris la tête. Il a terminé la boucle en 24h32, avec John Kelly juste derrière en 25h00. Les Français Gauduin et Raichon sont arrivés ensemble à 25h29.
Le Statut de la Course : Seuls ces quatre coureurs restaient en lice pour la "Fun Run" (trois boucles) et, théoriquement, la course complète (cinq boucles). Le cut-off pour la boucle 2 était particulièrement serré, laissant peu de marge de manœuvre.
La troisième boucle est le juge de paix pour la "Fun Run" – un exploit en soi, symbolisant la domination du coureur sur la Barkley, même sans finition complète.
Le Premier Retrait : Maxime Gauduin a rapidement jeté l'éponge après le départ, conscient qu'il n'aurait pas le temps de terminer la boucle dans le temps imparti pour continuer.
Le Drame Français : Sébastien Raichon a atteint un point de non-retour sur le parcours de la troisième boucle. Il est revenu au camp sans terminer l'intégralité du trajet (sans ramasser tous les livres), signant son DNF.
Ihara Dépassé : Tomokazu Ihara, le leader, est revenu au camp au-delà du cut-off de 40 heures pour la Fun Run. Son temps était trop lent pour continuer.
John Kelly, Seul Contre le Chrono : Seul John Kelly a réussi l'exploit. Il a terminé sa troisième boucle en 39:50:27, soit moins de 10 minutes sous la limite de 40 heures pour valider la "Fun Run". C'était la fin de sa course, car pour continuer la quatrième boucle, le cut-off est de 36 heures, un temps qu'il avait largement dépassé.
Boucle | Performance Finale | Athlète Principal | Temps Final |
5 | Aucun Finisher | N/A | N/A |
4 | Aucun Départ | N/A | N/A |
3 | Fun Run (Seul) | John Kelly (USA) | 39:50:27 |
2 | Terminé | Tomokazu Ihara (JPN) | 24:32:50 |
1 | 10 Coureurs | Maxime Gauduin (FRA) | 09:44:55 |
La Barkley 2025 n'a pas produit de vainqueur, mais elle a engendré des statistiques dévastatrices :
Le Record de Brutalité : Les données objectives montrent que 2025 a été l'une des années les plus difficiles, sinon la plus difficile, de l'histoire moderne de la Barkley. Le taux de réussite le plus faible de la première boucle depuis 2000, et l'absence totale de prétendant au-delà de la "Fun Run", soulignent l'augmentation significative de la difficulté du parcours par Laz.
La Résilience de Kelly : La performance de John Kelly, bien qu'amère, est une démonstration de maîtrise. Réaliser la seule "Fun Run" dans ces conditions extrêmes solidifie son statut de maître tacticien de la Barkley. Il a réussi à maintenir le cap et la navigation lorsque tous les autres s'effondraient, manquant de peu le cut-off d'une boucle complète.
La Promesse Française : Malgré le DNF, la présence de trois Français dans les quatre derniers coureurs montre l'excellence de la nouvelle génération d'ultramarathoniens tricolores, prêts à rivaliser avec les meilleurs vétérans.
Le véritable vainqueur de 2025 est le mythe lui-même : Lazarus Lake. Après cinq finishers en 2024, il a su ajuster la douleur pour que l'épreuve retrouve son essence la plus pure : l'échec programmé. Le triomphe réside dans l'absence de finition. Laz a reçu son tribut.
L'édition 2025 aura deux conséquences majeures :
L'Avertissement : Elle sert d'avertissement que l'euphorie de 2024 était une anomalie. Les futurs participants devront se préparer à une difficulté accrue et à un temps de parcours plus lent.
La Quête Reprend : L'absence de finition relance la pression pour l'édition 2026. Kelly reviendra, plus affûté que jamais. La France, avec Raichon et Gauduin, reviendra pour tenter de venger son échec de la troisième boucle.
La Barkley Marathons est une course qui ne se gagne pas, elle se survit. L'édition 2025 a été une démonstration magistrale de ce principe. Seul le cor, jouant le "Taps" pour chaque abandon, a rythmé une course où, une fois de plus, le seul moyen de gagner était d'accepter l'échec. La montagne a mangé les coureurs, et le mystère de la course la plus dure du monde reste entier.