L'air chaud et lourd de Kailua-Kona vibrait d'une électricité particulière ce samedi 11 octobre 2025. Dès l'aube, les lueurs du lever du soleil sur le Pacifique ne parvenaient pas à dissiper la tension palpable sur le Kailua Pier. Cette édition du Championnat du Monde IRONMAN Féminin n'était pas un simple rendez-vous annuel ; elle était un tournant historique. Pour la dernière fois avant la réunification des courses Hommes et Femmes sur la Big Island en 2026, l'élite mondiale féminine s'affrontait seule sur ce parcours mythique.
Le spectacle promis était un duel au sommet entre les reines de la longue distance : la tenante du titre Lucy Charles-Barclay, la puissance cycliste Taylor Knibb, la régularité allemande Laura Philipp, la revenante Kat Matthews, et la menace montante du triathlon norvégien, Solveig Løvseth. Ce que nous avons vécu fut bien au-delà des pronostics : une course de l'extrême, où les favorites se sont effondrées sous la chaleur et le vent, laissant la voie libre à une révélation qui a mené une charge monumentale dans l'enfer de l'Energy Lab. Løvseth, avec une gestion de course clinique et un marathon d’anthologie, est venue parachever l'année historique du triathlon norvégien, plaçant cette édition 2025 sous le signe de l'endurance et de la résilience.
L'édition 2025 proposait l'un des plateaux les plus denses jamais vus.
Lucy Charles-Barclay (GBR) : La référence en natation et la championne en titre. Sa stratégie habituelle était d'imposer un rythme écrasant dès l'eau et de maintenir une avance psychologique sur le vélo. L'enjeu pour elle était de confirmer sa domination post-blessure et d'améliorer sa course à pied, souvent son point faible face aux pures coureuses.
Taylor Knibb (USA) : Le phénomène. Ses victoires en 70.3 et sa performance de l'année 2024 la positionnaient comme la favorite sur le vélo. Sa capacité à creuser un écart massif sur la Queen K était sa meilleure chance de victoire, à condition de pouvoir gérer l'effort en course à pied.
Laura Philipp (GER) : La métronome. Réputée pour sa constance et son excellent marathon, elle attendait patiemment son heure, misant sur le fait que la course se jouerait après le 150e km vélo et dans l'Energy Lab.
Kat Matthews (GBR) : Après une saison 2025 marquée par une forme ascendante, Matthews se présentait comme une prétendante sérieuse, avec une force sur le vélo et une amélioration constante de son marathon.
Solveig Løvseth (NOR) : Membre de la "Triathlon Factory" norvégienne, moins médiatisée en longue distance que ses compatriotes masculins, mais dotée d'un moteur exceptionnel, notamment à pied.
Des athlètes comme Marta Sánchez (ESP), rapide en natation, ou Jocelyn McCauley (USA) et Hannah Berry (NZL) étaient prêtes à capitaliser sur la défaillance des favorites.
Les conditions climatiques ont été, comme souvent, le facteur X. Une chaleur et une humidité extrêmes (ressenti au-dessus de 35°C en milieu de journée) couplées à un vent de travers particulièrement violent sur la partie retour de la Queen K (à l'approche de Hawi puis sur le retour) rendaient la gestion de l'hydratation et de la nutrition absolument cruciale. Ce vent a favorisé les athlètes capables de maintenir une position aérodynamique sans perdre le contrôle de leur vélo, et a puni les moindres erreurs tactiques.
Comme prévu, la natation a été dominée par les spécialistes, avec un tempo infernal imposé dès les premiers mètres.
Tête de Course : Lucy Charles-Barclay (GBR) et la surprenante Taylor Knibb (USA) ont établi un écart dès le milieu de la boucle. Elles sortent de l'eau en 49:26, un temps très rapide étant donné les conditions.
Analyse Tactique : Cet écart d'environ 1 minute 30 secondes sur le premier groupe de poursuite (comprenant Matthews, Lawrence, Chura et Sánchez) était l'objectif pour Knibb. Elle mettait immédiatement la pression et s'offrait le luxe de dicter la course sur son segment de prédilection. Solveig Løvseth sort plus loin, en 55:40, avec un déficit gérable de plus de six minutes, laissant la Norvégienne à la 14e position.
Le segment cycliste sur la Queen K a été le théâtre d'une démonstration de puissance, entachée d'un drame réglementaire.
Le Duel au Sommet : Fidèle à sa réputation, Taylor Knibb a attaqué violemment dès les premiers kilomètres. Elle a distancé Charles-Barclay, creusant rapidement un écart significatif. Son rythme était si élevé que même le vent n'a pu la ralentir.
Le Tournant : Charles-Barclay, dans un effort pour rester au contact, a écopé d’une pénalité d'une minute pour unintentional littering (jet de gourde hors zone). Ce stop forcé lui a fait perdre un temps précieux et son élan.
La Charge : À l'approche de Hawi (le point de retournement), Knibb menait avec plus de 4 minutes d'avance sur Charles-Barclay et près de 10 minutes sur le groupe de chasse principal mené par Kat Matthews et Laura Philipp. Knibb a enregistré un temps de vélo impressionnant (4:30:17), démontrant une puissance hors normes.
Analyse : La course semblait jouée. L'avance de Knibb était colossale. Cependant, cette performance a soulevé des questions sur sa gestion énergétique. Pendant ce temps, Matthews (4:31:53) et Løvseth (4:31:53 – 2e temps vélo ex aequo) ont toutes deux réalisé des temps vélo exceptionnels, réduisant l'écart avec les autres favorites et se positionnant idéalement avant le marathon.
L'entrée sur le parcours de course à pied, avec le soleil à son zénith, a transformé l'épreuve en un véritable chemin de croix.
L'Effondrement des Favorites : Lucy Charles-Barclay, malgré une belle tentative de retour sur l'Ali’i Drive, s'est rapidement déshydratée. Elle a dû abandonner peu après le kilomètre 30 dans l'Energy Lab, un moment déchirant et un rappel brutal des exigences de Kona. Taylor Knibb, en tête, a tenu bon jusqu'au kilomètre 39. Mais son avance massive a fondu. Subissant un "coup de chaleur", elle s'est écroulée dramatiquement à seulement trois kilomètres de l'arrivée, le corps ayant dit stop après son effort cycliste colossal.
Le Basculement : La course s'est décidée au cœur de l'Energy Lab. Solveig Løvseth, qui avait patiemment géré son effort sur le vélo, est entrée dans une zone de performance incroyable. Son rythme effréné, couplé à celui de Kat Matthews, a fait chuter l'écart avec Knibb à la vitesse de l'éclair.
La Performance Historique : Løvseth prend la tête juste avant de sortir de l'Energy Lab et ne la lâchera plus. Elle remporte la course après un marathon d’une gestion et d’une puissance incroyables. Kat Matthews, quant à elle, a réalisé un marathon d'anthologie en 2:47:23, pulvérisant le record féminin du marathon à Kona. Ce temps, le plus rapide jamais couru par une femme sur ce parcours, lui permet de remonter à la deuxième place.
Analyse du Marathon : La victoire de Løvseth, tout comme la remontée de Matthews, est un triomphe de la stratégie de course conservatrice, de la gestion du rythme et de la nutrition face à l'agressivité de Knibb et Charles-Barclay. L'échec des deux leaders initiales prouve qu'à Kona, le risque d'exploser sur le marathon est omniprésent lorsque l'on s'est trop exposé sur le vélo.
Rang | Athlète | Pays | Temps Total | Natation | Vélo | Course à Pied |
1er | Solveig Løvseth | NOR | 8:36:53 | 0:55:40 | 4:31:53 | 3:02:40 |
2e | Kat Matthews | GBR | 8:37:28 | 0:49:55 | 4:40:08 | 2:47:23 (Record) |
3e | Laura Philipp | GER | 8:37:58 | 0:55:43 | 4:40:27 | 2:56:58 |
4e | Hannah Berry | NZL | 8:45:01 | 0:56:02 | 4:43:10 | 2:59:10 |
5e | Lisa Perterer | AUT | 8:48:45 | 0:53:50 | 4:45:30 | 3:02:50 |
Remarque : Les temps d'athlètes majeurs qui n'ont pas terminé (DNF) comme Knibb et Charles-Barclay sont exclus du classement final.
Solveig Løvseth a remporté son premier titre mondial IRONMAN avec une stratégie de course remarquablement équilibrée, dans la pure tradition de l'école norvégienne : excellence technique, gestion de la puissance et patience. Elle a évité la surchauffe sur le vélo pour pouvoir dérouler un marathon solide, son temps de 3:02:40 étant un exemple de constance dans des conditions impitoyables.
Le fait marquant de cette édition reste le marathon d'une autre dimension de Kat Matthews (2:47:23). Ce temps n'est pas seulement un nouveau record du parcours course à pied féminin ; il témoigne d'une capacité physique et d'une résilience mentale hors du commun. Matthews est passée à seulement 35 secondes de la victoire, ce qui en dit long sur la puissance de son final.
Finalement, le podium est complété par Laura Philipp, une athlète dont la présence récurrente dans le Top 3 souligne la valeur de la régularité et de l'expérience à Kona. Cette course est un hommage à l'endurance pure, où la meilleure coureuse (Matthews) et la plus tactique (Løvseth) se sont imposées sur celles qui avaient trop misé sur la domination cycliste.
Au-delà de la victoire méritée de Løvseth, le fait marquant est le triple abandon (DNF) des favorites pour épuisement/déshydratation. Les images de Taylor Knibb s'écroulant près de la ligne d'arrivée et de l'abandon forcé de Lucy Charles-Barclay dans l'Energy Lab rappellent la cruauté de la Big Island. Kona ne pardonne pas l'excès de zèle. C'est la course la plus dure au monde, et elle l'a prouvé une fois de plus.
L'édition 2025 restera gravée comme la dernière course purement féminine à Kona avant la réunification avec les hommes en 2026. Cette victoire norvégienne, qui fait suite au triplé masculin à Nice, confirme la domination sans précédent de la Triathlon Factory scandinave sur la longue distance.
Pour 2026, l'enjeu sera double :
La Gestion de la Foule : Comment les athlètes professionnelles géreront-elles le parcours cycliste (potentiellement moins d'espace, plus de groupes) avec l'intégration de la course Hommes ?
La Revanche : Knibb et Charles-Barclay reviendront avec un désir de vengeance ardent, mais la nouvelle championne, Løvseth, a prouvé qu'elle était l'incarnation de la résilience nécessaire pour vaincre à Kona.
Le Championnat du Monde IRONMAN 2025 a été une leçon d'humilité et de courage. Il a couronné une nouvelle reine, Solveig Løvseth, qui a su dompter la bête hawaiienne par l'intelligence de course et la force mentale. L'attente pour 2026, année de la réunification, n'en sera que plus intense. Le mythe de Kona a accouché d'une nouvelle légende.